N-31
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Le libéralisme, idéologie de la liberté ? - dé·polariser #3

Parution : Lecture : 6 minutes + 27 notes

Cet article est le second d'une série de trois articles consacrés à la liberté :

  1. (dans le précédent article) nous avons défini la liberté, sans trop nous attarder sur les mouvements politiques s'en réclamant
  2. (dans le présent article) nous nous pencherons plus en détail sur la vision libérale de la liberté, afin d'en voir les limites et les conséquences concrètes
  3. (en conclusion) nous ferons la synthèse de tous ces différents points en définissant un nouvel axe politique plus cohérent

Le libéralisme au pouvoir

Eugène Delacroix - Le 28 Juillet. La Liberté guidant le peuple - huile sur toile

En général, les gens (et surtout les politiciens) qui parlent de liberté en France de nos jours pensent "non-ingérence". Bien évidemment, ce genre de consensus ne sort pas de nulle part. La vision "négative" de la liberté est au fondement du libéralisme. Mais attention : libéralisme n'est pas juste un synonyme de "liberté économique", destruction des services publics, etc. Ça ce n'est qu'une dérive très récente (ne vous en faites pas, on y viendra).

Remontons au XVIIIième siècle. La monarchie absolue de droit divin règne. Le servage et le dogmatisme religieux sont dans tous les coins. Quelle que soit la définition considérée, la société n'est pas vraiment un modèle de liberté. Le libéralisme était donc, à l'époque1, une idéologie progressiste et révolutionnaire. Et comme les choses sont bien faites, il y a eu une révolution (oui, en 1789).

L'idéologie libérale a énormément jouée dans la fondation du nouveau pouvoir2. Or, si on se place du point de vue libéral, « l'homme est un loup pour l'homme. »3 Il faut donc ... empêcher les gens de manger leur voisin4 ? Problème : la liberté c'est bien, donc intervenir pour empêcher les gens de faire quelque chose, c'est mal (oui, même s'il allait bouffer son voisin). Solution : la "Démocratie"56.

Si le peuple décide d'un commun accord de limiter ses propres liberté, ça passe. Grâce à la démocratie, l'État et ses lois deviennent l'incarnation de la volonté générale. En limitant les libertés de chacun, le droit devient le garant des libertés fondamentales de tous.

La déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789 incarne parfaitement cette idée libérale :

  • Article 1 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »
  • Article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »

Notez que la DDHC déclare des droits et libertés. Ce qui ne signifie pas forcément qu'on fasse quoi que ce soit pour les garantir7. C'est ce qu'on appelle une liberté formelle (une pure déclaration dans la forme)8. À l'opposé, les libertés qu'on peut constater concrètement dans la vie de tous les jours sont dites réelle ou concrète9.

La liberté selon les néolibéraux

A Corporate Revolution de Singer, parodie de La Liberté Guidant le Peuple où les mascotte de multinationales européennes remplacent les révolutionnaires

Proclamer quelques libertés réelles minimales entourées d'une nuée de libertés négatives formelles suffit à l'essentiel des libéraux. Leur "nouveau monde" a été bâti. Ils vont donc rapidement évoluer vers la conservation de ce système. Ils glissent alors, comme on l'a vu au début de cette série, de la gauche à la droite.

La démocratie, la république et le droit (de propriété surtout) ne sont plus des objectifs à atteindre. Dépouillés progressivement de leur sens, ces concepts deviennent des valeurs transcendantales, quasi sacrées, qu'il faut défendre à tout prix dans leur état actuel.

Puis c'est au tour de l'égalité de devenir secondaire. Voir carrément l'ennemie, face à la liberté individuelle d'entreprendre et posséder, à son tour sacralisée. Le "mérite" est invoqué pour la remplacer. On peut alors tracer une ligne de démarcation politique simpliste, comme vous l'avez peut-être déjà entendu en 201710 :

À droite « il y en a qui vont réussir d'autres non, tant pis » (sic) puisque ceux qui réussissent méritent tout, y compris leur liberté de coercition d'autrui. À gauche « les gens sont égaux, mais ils ne sont pas forcément libres ». Parce que la gauche souhaite restreindre a liberté des plus méritants, ce qui est injuste10:1.

La république a le devoir d'user de son pouvoir coercitif aussi largement que nécessaire afin de défendre la propriété et la liberté d'entreprendre. Il faut détruire l'État providence qui fausse la méritocratie en récompensant les moins volontaires.

Problème : la république sacrée, le droit de propriété et la liberté économique n'emportent pas l'adhésion claire de la population11. Il est donc légitime et nécessaire d'user d'autoritarisme pour les imposer12, et de contourner autant que possible la démocratie vie des institutions supranationales.

Toutes ces idées caractérisent le passage du libéralisme au néolibéralisme.

Bien entendu, je ne fais ici que résumer rapidement un sujet plus complexe. Si cela peut sembler trop gros pour être vrais, je vous assure que je n'ai rien exagéré. Il s'agit bel et bien des principes ordolibéraux et néolibéraux tels qu'exprimés par Hayek, Mises, Röpke, et bien d'autres13.

Finalement, cette vision colle assez bien avec ce que disait Berlin de la liberté positive :

« Un déguisement spécieux pour une tyrannie brutale14 [partant du principe qu']il est possible, et parfois justifiable, de contraindre les hommes au nom d'un but [...] qu'ils poursuivraient eux-mêmes, s'ils étaient plus éclairés, mais qu'ils ne poursuivent pas, parce qu'ils sont aveugles ou ignorants ou corrompus.15 »

L'évolution finale du néolibéralisme

DBZ Freezer: you fool, this isn't even my final form

Dans le même temps, le libéralisme prend encore une nouvelle forme : le libertarianisme.

Jusque-là, je n'ai parlé du libéralisme que d'un point de vue français, histoire de faire simple. Car c'est un pays dans lequel le "libéralisme" reste un courant cohérent aussi bien en philosophie qu'en histoire politique. Maintenant, on va devoir rapidement franchir l'Atlantique pour bien comprendre de quoi "libertarien" est le nom.

Aux USA, le "liberalism" englobe toutes les personnes qui se revendiquent d'une certaine liberté positive. Des gens qui souhaitent une intervention forte de l'État afin de garantir le "pouvoir de réalisation" du plus grand nombre. Des "libéraux progressistes sociaux", en somme. Donc a priori à gauche du spectre politique, si tant est que transposer cette notion aux USA ait un sens.

Pour éviter la confusion, les États-uniens ont donc repris le terme français "libertaire"16 pour désigner une idéologie libérale opposée à la notion même d'État sans qu'elle soit confondue avec le liberalism.

Mais le libertarianism n'a jamais vraiment été une idéologie cohérente17. Ce n'est qu'un amalgame de personnalités de droite, généralement riches, opposées à l'État, comme Elon Musk ou Jeff Bezos16:1.

Sous l'influence de ces personnalités de la droite américaine, le néolibéralisme mondial a évolué vers une définition cyclique de la liberté, encore plus extrême :

« J’ai le droit de faire ce qui ne contraint pas les autres de manière indue. Et ce qui ne contraint pas, c’est ce que j’ai le droit de faire. »18

La question de l'illibéralisme

Viktor Orban serant la main de Donald Trump

Pour être exhaustif, on va finalement devoir définir ce qui serait l'opposé de toutes ces visions de la liberté.

Un nouveau terme est apparu récemment dans les médias : "illibéralisme".

Un mot qui est surtout redevenu tendance à cause du premier ministre Hongrois Viktor Orbán, qui l'utilise lui-même à la moindre occasion. Dans ses discours, le leader du Fidesz affirme régulièrement son opposition au libéralisme. Mais il utilise le terme dans son sens américain. Autrement dit, il fustige comme beaucoup d'autres le "wokisme", le "lobby LGBT", l'accueil des migrants, etc. En revanche, il ne s'oppose absolument pas au néolibéralisme lui-même, ni même au libéralisme contemporain1920.

Une rhétorique qu'on retrouve chez Giorgia Meloni21, présidente du parti fasciste italien Frères d'Italie. Élue présidente du conseil des ministres italien grâce à une coalition de centre droit libéral-fasciste, Meloni est également présidente du Parti des conservateurs et réformistes européens depuis 2020.

Aujourd'hui, on utilise le terme "démocratie illibérale" pour désigner tous les gouvernements qui maintiennent des élections, mais exercent dans les faits un pouvoir autoritaire réactionnaire. Ce qui inclue par exemple la Russie de Poutine, le Brésil de Bolsonaro ou l'Inde de Modi.

Les "démocraties" illibérales seraient des régimes en "dérive autoritaire" par leur rejet du libéralisme donc de la liberté. Ce qui permet de sous-entendre que la démocratie et la liberté économique constituent notre dernier rempart contre ce type de dictature. Un discours dans la continuité de la sacralisation et du détournement de ces concepts par le courant néolibéral.

Mais la question de la liberté en politique est bien plus complexe qu'une simple opposition libéralisme / illibéralisme. Il est primordial de déconstruire cette idée que le libéralisme, et en particulier le néolibéralisme seraient des incarnations de la liberté et de la démocratie. Les élections ne font pas la démocratie. En particulier quand le gouvernement en place détient, directement2223 ou indirectement24, le pouvoir médiatique.

Néolibéralisme et illibéralisme partagent une vision commune de la liberté : celle d'une non-ingérence (voir, d'une non-intervention) réservée à un groupe plus méritant. En Europe, la plupart des mouvements ouvertement néolibéraux se revendiquent de la tradition libérale classique. Nous avons déjà vu comment ils s'en sont détournés. Ils peuvent malgré tout faire appel à cette tradition en mettant en avant leur attachement à des libertés formelles (en particulier les Droits Humains). Cela ne signifie pas pour autant qu'ils cherchent réellement à les appliquer. Dans les faits, il arrive même régulièrement qu'ils s'y opposent.

L'illibéralisme se démarque en assumant son rejet de ces principes. Pour ce qui est de la liberté, la première différence profonde entre néolibéralisme et illibéralisme n'est donc pas factuelle, mais formelle.

Les lignes se brouillent et se mélangent entre deux camps politiques ayant une forte tendance à dévoyer les valeurs dont ils se réclament25. Il ne faut cependant pas forcer la comparaison. De nombreux autres éléments permettent de distinguer certains néolibéraux des illibéraux et des mouvements totalitaires en général. Des mouvements néolibéraux peuvent avoir des positions très différentes sur d'autres axes politiques. Il arrive même qu'ils s'opposent.

Reste que les libéraux peuvent parfaitement s'accorder du totalitarisme26. Du fait de leur vision individualiste, leur définition de la liberté se résume à la définition la plus restreinte de la liberté négative, par non-ingérence. Or, comme nous l'avons vu dans l'article précédent, cette vision est porteuse de deux erreurs fondamentales, en ignorant à la fois la domination et la dimension collective de la liberté. Ce faisant, le libéralisme laisse la porte ouverte à l'autoritarisme. Le néolibéralisme, plus prompt à user des pouvoirs coercitifs de l'État, l'accueil à bras ouverts.


  1. Aujourd'hui, on parle de "libéralisme classique", pour mieux différencier ce courant de ce qui l'a suivi. Les liens étant toujours forts entre toutes les philosophies libérales, il n'est malgré tout pas abusif de parler de "libéralisme" en général. ↩︎

  2. Ou alors ils se seraient accaparés le pouvoir après coup pour mieux imposer leurs idées. Ou encore, il y en a plein qui seraient morts bien avant, mais qui auraient inspiré des bourgeois qui auraient voulu éviter que les gueux aient un peu trop de libertés (un peu comme Marx aurait inspiré le Stalinisme, ou Nietzsche le Nazisme ... lol). Ça dépend du point de vue. Enfin bref, c'est pas le sujet ici, donc pas besoin que je vous donne mon avis (sachant que je ne suis même pas sûr d'en avoir un). ↩︎

  3. Thomas Hobbes base l'essentiel de sa réflexion sur cette phrase, dans De Cive (et encore plus dans Leviathan), l'accompagnant d'un concept optimiste opposé : « Et certainement il est également vrai, et qu’un homme est un dieu à un autre homme, et qu’un homme est aussi un loup à un autre homme. »

    L'œuvre tentaculaire de Hobbes a fortement inspiré le libéralisme. Mais on peut aussi la reprendre pour contredire ce courant sur certains points.

    Hobbes n'est d'ailleurs même pas l'auteur de cette phrase. « Homo homini lupus est » était déjà une expression courante dans la Rome antique. Reste qu'elle véhicule une certaine idée de la conception du libéralisme classique ayant cours à la révolution. ↩︎

  4. Généralement, on est d'accord pour dire que ça va comme restriction de la liberté a priori. Oui je parodie, évidemment. #EatTheRich ↩︎

  5. Notez qu'à l'époque, la "démocratie" n'est pas vraiment un concept libéral. Pour beaucoup, un dictateur éclairé aurait parfaitement suffit. L'idée d'un État démocratique incarnant la volonté du peuple est surtout liée au républicanisme, autre courant qui a, lui aussi, pas mal contribué à créer la première République (qui l'eu cru). ↩︎

  6. Remarquez également que la démocratie nécessite l'isonomie, c'est-à-dire l'égalité de droits politiques des citoyens. ↩︎

  7. Concernant les limites de cette isonomie, voir l'article France, pays des droits de l'homme ?. ↩︎

  8. Marx, évoquant la révolution française, qualifiait les libertés formelles de libertés bourgeoises, car établies par et pour cette classe dominante seule.

    "Bourgeois" étant évidemment utilisé dans le sens marxiste, c'est-à-dire pour désigner la classe dominante détenant et vivant de son capital, en opposition au prolétariat, contraint à vendre sa force de travail pour survivre, car possédant pas ou peu de capital.

    Il y a quelques liens avec la "bourgeoisie culturelle" de Jean-Eudes et Marie-Chantal—aaan. Mais pas tant que ça. Lisez "La Distinction: Critique sociale du jugement" de Pierre Bourdieu si vous voulez en apprendre plus sur ce sujet là. ↩︎

  9. Si les deux concepts semblent proches, il ne faut cependant pas confondre "liberté négative/positive" et "formelle/réelle". Dire qu'une liberté n'est que formelle revient à dire qu'elle n'est tout simplement pas présente dans la vie réelle. Par exemple parce que le texte de loi correspondant n'est pas appliqué. Ou encore parce qu'il ne s'agit que d'une déclaration peu suivie de faits comme la DDHC.

    Pour prendre un exemple : on peut dire que la liberté négative de déplacement (aller à un endroit si on le désire) n'est que formelle dans un pays si celui-ci déclare l'avoir établie, mais continue dans les faits de maintenir des postes frontières entre chaque département (un contrainte continue à s'exercer). À l'opposé, une liberté positive de déplacement consisterait à s'assurer que la personne a concrètement les moyens de se déplacer (une voiture, avec accès au carburant et moyen de se les payer, par exemple) une fois ces postes frontière supprimés.

    En France, l'article 1 de la DDHC, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », est un cas d'école de liberté formelle, comme le démontre la perpétuation de l'esclavage et du racisme d'état après la révolution.

    Aujourd'hui, la Déclaration universelle des droits de l'homme peut-être considérée comme purement formelle. La Convention européenne des droits de l'homme, en revanche, peut être considérée comme un effort de rendre celle-ci concrête, puisqu'elle permet un contrôle judiciaire de son respect. Pour autant, son but essentiel demeure de protéger des droits et libertés individuelles. Le fait que les libertés afférantes soient négatives ou positives reste sujet à débat. ↩︎

  10. Il apparait en une phrase qu'Emmanuel Macron était déjà, en 2017, profondément ancré dans la logique libéral-conservatrice, donc indéniablement et radicalement de droite (et même bien plus à droite que le gouvernement précédent dont il faisait partie). S'il vous fallait encore une preuve que des connaissances élémentaires en philosophie politique sont concrètement utiles, ne la cherchez pas plus loin. ↩︎ ↩︎

  11. Guy Sorman, un des principaux penseur et promoteur du néolibéralisme en France, fait depuis quelques années le tour des médias pour mettre en avant un "post-libéralisme" qui permettrait selon lui de dépasser ces paradoxes. Dans l'ensemble, sa "critique" se résume à de légères adaptations à la marge du système dans la pure continuité du néolibéralisme (créer un revenu universel et "encourager le secteur Non Profitable" pour compenser la destruction de l'État providence). Le ton paternaliste qu'il emploie, et les constants appels à la "pédagogie" reflètent l'incapacité absolue du néolibéralisme à se remettre en question, et donc sa tendance autoritaire, justifiant le rejet de sa politique par de simples "malentendus" et "incompréhensions" du public.

    Voir notamment :

    ↩︎
  12. Pour plus de détails concernant les racines d'un tel autoritarisme tel qu'appliqué par le gouvernement français dès le premier mandat d'Emmanuel Macron, voir Romaric Godin, "Les origines économiques de l’autoritarisme d’Emmanuel Macron" Mediapart, 5 Feb. 2019 ↩︎

  13. Slobodian, Quinn. Les Globalistes: Une histoire intellectuelle du néolibéralisme. SEUIL, 2022 ↩︎

  14. « For it is this — the "positive" conception of liberty: not freedom from, but freedom to — to lead one prescribed form of life — which the adherents of the `negative' notion represent as being, at times, no better than a specious disguise for brutal tyranny. »

    Berlin (1969)27:1, p. 8 ↩︎

  15. « But what gives such plausibility as it has to this kind of language is that we recognize that it is possible, and at times justifiable, to coerce men in the name of some goal (let us say, justice or public health) which they would, if they were more enlightened, themselves pursue, but do not, because they are blind or ignorant or corrupt. »

    Berlin (1969)27, p. 9 ↩︎

  16. À l'opposé, les anarchistes américains se désignent souvent sous l'appellation "left libertarians" (libertariens de gauche) ou "social libertarian" (socialistes libertariens). Notez que je traduit toujours ici "libertarian" par "libertarien", et non "libertaire". Sans cela, les désignations obtenues seraient des pléonasmes.

    Car en français, "libertaire" désigne toujours un ensemble plus ou moins hétéroclites de mouvements héritiers de la philosophie anarchiste (Bakounine, Kropotkine, Proudhon), mais n'en gardant le plus souvent que l'aspect "indépendance de tout principe (arché)" tel qu'évoquée par Miguel Abensour. Étant donné que communisme, socialisme démocratique et anarchisme partageaient initialement l'appelation "socialisme" au sein de la Première Internationale (AIT), l'expression "socialisme-libertaire" n'existe que pour désigner l'anarchisme politique tout en évitant l'association à un terme devenu négatif, qui désigne dans le language commun « le contraire précisément de tout ce qu’on lui reproche, soit par ignorance, soit par mauvaise foi. » (Xavier Bekaert, "Anarchisme, violence et non-violence, Le Monde Libertaire, 2d édition complétée, Janv. 2005, p. 27)

    Du fait de cette subsistance, le terme "libertarien" en français tend à désigner les mouvements anarcho-capitalistes dans leur sens le plus strict (destruction de l'État avec conservation du capitalisme). La France ne connaissant pas de mouvement notable s'en revendiquant, il est cela dit souvent utilisé dans le sens américain.

    Dans cet article, je reprends surtout le terme "libertarianisme" en référence à Jean-Fabien Spitz, et en particulier son dernier libre "La République ? Quelles valeurs ?: Essai sur un nouvel intégrisme politique", GALLIMARD, 2022. ↩︎ ↩︎

  17. Aujourd'hui, le mot est utilisé pour désigner :

    • essentiellement des néolibéraux radicaux (minarchistes, pour qui la collectivisation des pertes et une État repressif restent quand même une sacrément bonne idée) ;
    • des "anarcho-capitalistes" (opposés à l'existence même de l'État tout en considérant la propriété privée comme une valeur transcandantale) ;
    • quelques anarcho-primitivistes (pour qui nous devrions revenir à un état pré-civilisationnel) ;
    • quelques fondamentalistes chrétien (considérant que l'autorité de l'église serait suffisante pour condamner le vol et le meurtre, éliminant du même coup la nécessité d'un état) ;
    • et plein d'autres mouvements plus mineurs.
    ↩︎
  18. Politikon, "Sauver la République ? (défaire les libertariens)", Youtube, 20 Nov. 2022 ↩︎

  19. Voir Some More News, "We Need To Talk About Hungary", Youtube, 9 Nov. 2022 ↩︎

  20. Tous les ans, Orbán profite de l’université d’été de Bálványos à Tusványos, en Transylvanie (ça ne s'invente pas) pour donner un long discours de "philosophie" politique.

    Il commence à parler concrètement de "démocratie illibéral" dans son discours de 2014 (Csaba Tóth, "Full text of Viktor Orbán's speech at Băile Tuşnad (Tusnádfürdő) of 26 July 2014" Budapest Beacon, 23 Oct. 2014) :

    « La nation hongroise n'est pas une simple somme d'individus, mais une communauté qui a besoin d'être organisée, renforcée et développée, et en ce sens, le nouvel État que nous construisons est un État illibéral, un État non libéral.

    Elle ne nie pas les valeurs fondatrices du libéralisme, comme la liberté, etc. Mais elle ne fait pas de cette idéologie un élément central de l'organisation étatique, mais applique à sa place une approche spécifique, nationale, particulière. »

    Essayant de définir "positivement" l'illibéralisme, le premier ministre Hongrois ajoute en 2019 ("Discours complet de Viktor Orbán à Tusványos : philosophie politique, crise à venir et projets pour 15 ans", Visegrád Post, 31 Mars 2020) :

    « La signification de la politique illibérale n’est autre que la liberté chrétienne. [...] Aujourd’hui la liberté chrétienne fait face à deux attaques. La première, qui vient de l’intérieur, est celle des libéraux et vise à l’abandon de la culture chrétienne de l’Europe. Mais il y en a une seconde, qui vient de l’extérieur et qui se manifeste dans la migration, dont la conséquence – même si ce n’est pas son intention – est d’anéantir l’Europe telle que nous l’avons connue. » ↩︎

  21. "Qui est Giorgia Meloni, gagnante des législatives en Italie ?" L'Obs, 26 Sept. 2022 ↩︎

  22. RSF France, "Hongrie : le régime de Viktor Orban poursuit son entreprise de destruction du pluralisme de l’information", 11 Dec. 2022 ↩︎

  23. Fabien CAZENAVE, "PODCAST. Clientélisme, contrôle des médias : pourquoi la Hongrie est si acquise à Viktor Orban" Ouest-France, 30 Mars 2022 ↩︎

  24. Marie Bénilde, "Emmanuel Macron, le candidat des médias" Le Monde diplomatique, 8 May. 2019 ↩︎

  25. « Les véritables sympathies d’Orbán vont à Margaret Thatcher. Il a été l’un des rares chefs d’État étrangers hors du Commonwealth à assister à ses funérailles en 2013 et il cite encore fréquemment la "Dame de fer" dans ses discours. [...]

    Orbán a adopté le point de vue de Thatcher selon lequel le meilleur moyen de revigorer une économie en difficulté, outre l’application de restrictions budgétaires, est de libérer le pouvoir créatif de l’entreprise privée en réduisant les impôts et en encourageant l’investissement productif et d’extraire le maximum de main-d’œuvre de la population active en réduisant drastiquement les allocations de chômage, en stigmatisant et en punissant l’oisiveté, et en récompensant ceux qui acceptent un travail dans les secteurs faiblement rémunérés de l’économie. »

    Marton Vegh, "Hongrie : Orbán a amplifié les politiques néolibérales et les inégalités", Contretemps, 21 avril 2021 ↩︎

  26. Pour ne citer que l'exemple le plus parlant, les "Chicago Boys", formés à l'école de Chicago par Milton Friedman, ont soutenus sans réserve la dictature fasciste de Pinochet afin de mettre en place leur programme néolibéral. ↩︎

  27. Isaiah Berlin, “Two Concepts of Liberty” in Four Essays On Liberty, Oxford University Press, 1969, p. 118-172. Extrait disponible sur utahtech.edu. ↩︎ ↩︎

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