N-31
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Le monde merveilleux de la semaine de 4 jours

Comment passer d'une revendication à un recul social

Parution : Lecture : 3 minutes

Pourquoi parler de semaine de 4 jours

Pour la gauche de gouvernement et les syndicats réformistes, la semaine de travail de quatre jours peut offrir un argument "disruptif".

Parce que bon, soyons clair : la semaine de 32 heures, c'est ringard pour le monde merveilleux de l'entreprise. Ils en sont encore à pester contre les 35 heures plus de 20 ans après son instauration, alors même qu'elles ont été largement détricotées.

Il était donc devenu usuel, pour les militants voulant "transformer le système de l'intérieur" de promouvoir une semaine de 4j en sous-entendant des journées de 8 heures, à salaire constant. S'il semblait évident aux travailleur·es que la baisse de productivité serait alors laissée à la charge de l'employeur (vu que personne ne devrait se donner à fond sur 8 heures), les portes-paroles de cette "disruption" vendaient l'idée à grands coups de "productivité maintenue" chère au patronat.

Sachant que dans tous les cas, la productivité du travail augmente constamment et plus vite que la production. Seule la réduction de notre temps de travail permet de maintenir l'emploi. À salaire équivalent, l'entreprise fait les mêmes bénéfices.

Graphique de la productivité du travail, de la production, de l'emploi et de la durée du travail. Lecture : la productivité augmentant plus vite que la production, seule la baisse de la durée du travail a permis de maintenir l’emploi. Source: The Conference Board, Total Economy Database, septembre 2015, via Alternatives Economiques

Si ce n'était que moi, on exigerait dès maintenant la semaine de 24 heures.

Aujourd'hui, l'ensemble des actifs travaillent en moyenne 36,9 heures par semaine. Or, la France compte 30 millions d'actifs, pour 7 à 10 millions de personnes en recherche d'emploi (voir Brève : Sommes nous proches du "plein emploi" ?). Un rapide produit en croix nous permet donc de voir que pour atteindre le plein emploi, nous aurions besoin de passer à une semaine de 24 heures.

Mais 32 heures (sur 4, 5 ou 6 jours, peu importe) serait déjà une bonne avancée, donc je n'avais pas grand-chose à reprocher à ce genre de démarche a priori (hormis peut-être sa naïveté)

Quand les médias s'y mettent

Aujourd'hui, TF1 nous offre un nouvel article pour promouvoir la semaine des 4 jours. Mais attention, pas n'importe laquelle. Là, on parle d'agents de l'Urssaf de Picardie qui vont expérimenter pendant un an la semaine de 36 heures en quatre jours. Soit des journées de neuf heures !

Interloqué, je me demande : Il y a vraiment des travailleur·es qui militent pour ça ? Une semaine de 4 jours, c'est 32 ou 28 heures. Sinon, je ne vois pas en quoi ce serait une avancée sociale.

J'imagine que la journée de 8 heures appartient elle aussi passé ? Pourquoi se priver de revenir sur un conquis vieux de plus de 100 ans après tout ... C'est pas comme si ça avait été une revendication fondatrice dans le monde entier après tout.

Mais évidemment, cet article n'était qu'un début.

Le 21 février, BFM rejoint le mouvement, avec un nouvel article Semaine de 4 jours: nombreuses entreprises convaincues par un test au Royaume-Uni, sans évoquer le moins du monde le temps de travail. Il est donc encore une fois sous-entendu que la semaine de quatre jours n'est qu'un changement relevant du management, mais certainement pas du droit et de la politique.

En creusant un peu, je me rends rapidement compte que l'article évoque uniquement le programme "4 day week global". Je trouve alors assez facilement le rapport sur lequel BFM est censé s'être basé. Et je découvre alors que ce programme a très clairement pour objectif une semaine de 4 x 8 heures à salaire constant.

L'organisation énonce même très clairement que l'essentiel des bénéfices constatés (que BFM associe à la semaine de 4 jours) sont liés à la réduction du temps de travail.

« This trial received considerable global attention in part because results also showed either stable or higher productivity alongside revenue neutrality. In Japan and Korea, reductions in the work week from 48 to 40 and 44 to 40 hours respectively, improved life satisfaction of affected workers and their spouses. Similarly, after the introduction of the 35-hour week in France, researchers identified significantly positive effects of shorter work weeks (without pay reductions) on workers’ subjective health. »

« Our findings show that the trial changed the workplace in important ways. As expected, worktime declined, from 40.83 hours per week to 34.83. While this isn’t a full reduction to 32 hours, that’s due to a number of factors – a few companies planned something less than an 8 hour reduction in hours. In 4 companies, working hours were well above 40 when the trial begun. »

"Étrangement", BFM n'évoque pas ce point dans cet article. Pourtant, il s'agit bien du modèle adopté par LDLC, qui est systématiquement cité en exemple.

Personne (à part dans les fantasmes des neolibs) ne parle de compresser 5 jours (donc 35, 39, voir 42 heures en France) sur 4 jours, ce serait insensé !

Quand un petit amateur comme moi peut corriger un journal d'envergure après avoir consulté la sources citée pendant quelques minutes seulement (donc plus que le ou la "journaliste" de toute évidence), c'est vraiment qu'on a touché le fond de la plus spongieuse des propagandes.

Sauf que voilà ...

La macronie disrupte la semaine de 4 jours

Sans surprise, Macron surfe sur la vague, et s'est récemment emparé du sujet pour "disrupter" le code du travail.

François Malaussena offre une très bonne analyse de ce point dans un de ses threads Twitter.

On peut donc s'attendre à ce que sa vision soit de plus en plus présente dans les médias serviles néolibs, dans la pure continuité des constants allongements du temps de travail et augmentations de la pénibilité depuis 20 ans. Attendez-vous à voir de plus en plus de travailleur·es en mode "ouai vive la semaine de 4 jours", zappant totalement que la revendication initiale était de supprimer une journée, pas de déplacer des heures.

Une belle démo de la capacité du capitalisme à réabsorber toute subversion.

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