Pourquoi les gens deviennent réactionnaires
... et qu'est-ce qu'on peut y faire ?
Parution : Lecture : 4 minutes
Panique morale épisode 13583 :
- "je ne comprend pas ce que je vois"
- ➡️ "invasions barbare", "lobby LGBT", "fin de la civilisation"
- 😱😱😱

Pourquoi jamais "je vais apprendre quelque chose" ?
Perso c'est ça que je ne comprendrai jamais. Des bigots crétins haineux. La négation de l'humanité.
Comment peut-on foirer à ce point l'éducation de la majorité des gens ? Comment en arrivent-ils systématiquement à préférer la réaction dogmatique à la curiosité intellectuelle ? L'enfermement et le rejet à l'enrichissement par l'altérité ? Le fantasme au réel ?!
Mes lectures du soir m'ont données une partie de la réponse :
"Misconceptions, Misinformation, and the Logic of Identity-Protective Cognition"
J'y pensais justement hier, et je suis ravis de voir que plein de scientifiques étudient ça en détail.
Extrait de l'article :
partie 2 : Identity protective cognition« The basic premise of identity protective cognition is that culture is prior to fact in the apprehension of societal risks. Culture is not just normatively prior, in the sense that values guide individuals’ decision-making conditional on their perception of facts. It is cognitively prior, in the sense that people’s perception of what the facts are is shaped by their values. It is easier to believe that what’s base is also detrimental to society and what’s honorable beneficial than vice versa. In addition, forming beliefs contrary to the ones that prevail in one’s group risks estrangement from others on whom one depends for support, material and emotional. As a result of these influences, we should expect individuals to acquire habits of mind that guide them to form and persist in beliefs that, against the background of social norms, express their membership in and loyalty to a particular identity-defining affinity group. »
Pour résumer les conclusions de cette première ébauche de papier scientifique : la probabilité qu'un individue accepte les conclusions d'une étude cohérente est conditionnée par leur compatibilité avec les valeurs de son groupe d'appartenance, donc son identité, peu importe ses compétences scientifiques/critiques !
Je comprends mieux à présent pourquoi je trouve autant de papiers écrits par des scientifiques qui rejettent en bloc la critical race theory et des gender studies, malgré leurs compétences...
Aucun ne me semble cohérent sur le plan épistémologique...
Mais va falloir que je me penche davantage sur le sujet, car il est évident que notre "camps" devrait avoir le même problème.
Bémol : quand le sujet fait écho à des consensus scientifiques ... un des camps a forcément raison (pas pour les bonnes raison, ok, mais quand même).
Exemples :
- le réchauffement climatique EST causé par l'homme (très mauvais choix d'illustration de cet article d'ailleurs)
- les constructions sociales EXISTENT et nous influencent (là où les réactionnaires rejettent en bloc toutes les sciences sociales)
Contre-exemples (s'il n'y a pas de consensus, il est plus que probable que je cherry-pick les études) :
- qu'un tel animal ne possède ou non telle une capacité donnée que j'aurais tendance à projeter
- tout ce qui concerna la "nature humaine"
À ce stade, j'ai tendance à penser que les valeurs fondamentales d'empathie, justice sociale et écologie de "la gauche" sont cohérentes avec le consensus scientifique ... ce qui amène à favoriser davantage les bonnes conclusions. Mais j'ai encore du travail pour m'en assurer.
Reste que dans la plupart des cas (par exemple, la régulation des armes à feu), il n'y pourra jamais y avoir de consensus. C'est du domaine de la rhétorique, pas des sciences.
Comment alors pourrait-on changer des valeurs fondamentales qui semblent nuire à la société ?
Il semblerait qu'il ne serve à rien de :
- former les gens à la pensée critique
- contredire les conclusions erronées (ça a même l'effet opposé, cf. backfire effect)
- tenter de changer les valeurs des gens par le dialogue
Mon hypothèse (qui demande encore beaucoup de vérifications) : seule la destruction profonde de l'identité et des structures sociales d'un individu peuvent l'amener à changer ses valeurs, donc ses opinions.
Les choix stratégiques qu'engendreraient une telle conclusion sont extrêmes, mais semblent faire echo à l'air du temps : ostracisation, perte de revenus et biens matériels, destruction de l'image publique...
Problème : les fondations identitaires des conservateurs et réacs sont globalement énormément plus solides que celles des progressistes, car liées à une classe sociale plus forte (réseaux, famille, capital matériel et culturel...) et par définition plus tolérante aux comportements inacceptables.
Écrivant cela, je réalise qu'il s'agit précisément de la stratégie qu'ils appliquent actuellement à notre encontre... et que eux semblent y parvenir.
Les progressistes sont effectivement de plus en plus isolés et appauvris dans un contexte qui diabolise leurs valeurs.
Et je constate effectivement que dans mon entourage, la souffrance psychologique que cela engendre fait basculer de nombreuses personnes vers le conservatisme et la réaction...
Reste malgré tout un espoir...
Tout indique que beaucoup de personnes qui partagent déjà nos valeurs sont inactives, apathiques, résignées, et/ou en souffrance.
Il faut donc :
- les soutenir pour éviter qu'elles basculent
- mobiliser autour de soi pour renverser la vapeur
Répéter constamment et le plus radicalement possible nos valeurs n'a pas pour objectif de changer celles du "camp d'en face".
Mais de rappeler à celleux qui les partagent, même très faiblement, qu'elles sont là, au fondement de leur groupe social.
Ce qui signifie aussi que nous devons nous limiter à une dynamique rhétorique compétitive, pas délibérative !
Vous ne ferez pas changer votre tonton raciste en vous confrontant à lui. Mais cela permet de montrer aux gens présent que l'anti-racisme est bien une valeur du groupe.
On doit toujours garder ça à l'esprit.
Pour éviter de s'épuiser dans des rapports purement conflictuels (c'est-à-dire sans un auditoire partageant nos valeurs) qui ne servent strictement à rien sinon nous convaincre que nous sommes nous même isolés et rejetés.
Quiconque a contribué à la vie d'un parti politique voit de quoi je parle. C'est comme ça qu'on fait campagne.
On s'oppose à l'adversaire dans le seul but de renforcer les convictions d'une partie de l'auditoire.
Et quand on tract ou fait du porte à porte, on évite de gaspiller du temps avec quelqu'un qui est clairement de l'autre bord.
C'est triste, mais il semblerait que ces règles doivent maintenant s'appliquer à la vie de tous les jours.
Et en particulier sur les réseaux sociaux...
À lire en complément de l'article évoqué : Juskenaite, Aurelija, et al. « L’identité : une représentation de soi qui accommode la réalité », Revue de neuropsychologie, vol. 8, no. 4, 2016, pp. 261-268.
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