Faire la synthèse de toutes nos luttes
L'antiautoritarisme comme remède au paternalisme et à nos dissensions
Parution : Lecture : 3 minutes + 1 note
Penser, ordonner, n'est pas hiérarchiser1. Les formes d'oppressions (colonialisme, patriarcat, capitalisme, validisme, etc.) varient dans leur expression, mais relèvent des mêmes mécanismes. Inutile de les opposer si on en fait la synthèse.
"Nothing About Us Without Us"

À mes yeux, l'idée centrale est de ne rien faire sans la participation des personnes concernées.
Littéralement : "Rien à propos de nous sans nous !", ou en latin "Nihil de nobis, sine nobis."
Un slogan fortement lié aux combats démocratiques, qui a depuis les années 90 été essentiellement repris dans le cadre de l'activisme des handicapé·es, en particulier dans la lutte contre l'institutionnalisation.
Au niveau personnel, c'est déjà un bon point de départ pour éviter le paternalisme et le dogmatisme.
Au niveau politique, cette simple phrase porte tout le sens de l’anti-autoritarisme, contre l'ensemble des oppressions.
Elle dessine à elle seule un idéal de société où chaque personne ait droit à sa juste place.
Une société qui laisse place aux personnes en situation d'oppression, et se structure pour y mettre fin.
Une société débarrassée des chefaillons et du paternalisme, où les plus directement concerné·e·s décident de la marche à suivre.
Une société sans patron, ni actionnaires spoliant les travailleur·euse·s.
Une société où nous puissions nous épanouir pleinement dans notre travail, en gérant collectivement et démocratiquement les moyens de production.
Une société où la consommation ne soit plus une aliénation, mais une libération collective, chaque usager prenant pleinement part au processus créateur.
Une société débarrassée du fascisme et des réactionnaires, qui ne font qu'écraser les autres.
Bref, une société sans classe, sans racisme, sans sexisme, sans validisme...
Une société post-capitaliste. Post-colonialiste. Post-patriarcat.
Une société autogérée.
Ce qui englobe toutes les formes de socialismes (communisme comme anarchisme, voir pas mal de réformistes socdem) et toutes les luttes émancipatrices intersectionnelles, mais aussi les causes plus "spécifiques" (indépendantismes anticoloniaux, antispécisme, syndicalisme, pacifisme, etc.).
Donc oui, dans les faits, "tout se vaut"1:1. Tout est bon à prendre. De la plus anodine résistance à une personne toxique, jusqu'à la grève générale expropriatrice. Nous n'avons qu'à nous nous insurger, à tous les niveaux, pour dire "plus jamais sans moi", en se serrant les coudes.
Précision
NAUWU n'implique pas qu'il faille inclure ceux à qui on s'oppose, mais leurs victimes. Or, il est souvent difficile de savoir où tracer la frontière entre victime et bourreaux.
En particulier, tout combat contre l'endoctrinement doit être mené contre les leaders manipulateurs et intéressés, mais avec leurs victimes. Ce qui inclue, selon moi, toute personne ayant été endoctrinées, mais qui a clairement indiqué être prête à déconstruire son conditionnement, et à tout faire pour éviter aux autres de suivre le même chemin. Le conspirationnisme et le fascisme (qui sont intrinsèquement liés) constituent deux parfaits exemples de ce type d'endoctrinement, révélant assez bien toute la difficulté d'une telle démarche.
Le danger du "paternalisme de gauche"
À l'opposé, beaucoup de personnes et orga se pensant de gauche ne sont dans les faits que des "paternalistes bienveillants".
Toute personne pensant mieux savoir que les concerné·e·s, aussi "bienveillante" soit-elle, agit pour la droite.
C'est la racine de toutes nos divisions.
Le mot "bienveillance" implique déjà de décider (en latin "volo") à la place de l'autre, donc qu'il y ait une position de pouvoir, de domination.
C'est là qu'il faut distinguer l'autorité (véritable car légitime) de l'autoritarisme.
L'autorité n'est pas du ressort de la personne en position dominante, mais d'un groupe qui la met dans cette position en reconnaissant sa légitimité, sur la base de ses compétences et, souvent, de sa "bienveillance".
L'autoritarisme impose une domination reposant sur la tradition ou la force. On la confond généralement avec l'autorité.
Parler de "bienveillance" fait donc très souvent appel à la tradition du "bon père/maître".
Ce qui est LA racine historique de la gauche européenne.
Mais heureusement, contrairement aux réacs et conservateurs (la droite), le modèle progressiste (la gauche) évolue par définition en permanence.
Ce serait pas mal que les "conservateurs de la gauche" (universalistes & co) lisent un truc ou deux de temps en temps pour se mettre à la page.
Précision
De manière générale, je tends à utiliser le terme bienveillance dans un cadre très précis : l'autorité véritable (très rare, surtout dans notre contexte).
Il y a peu, je pensais encore que la bienveillance est une forme d'autoritarisme opposée à l'empathie. J'avais donc exclu ce mot de mon vocabulaire.
Mais j'ai récemment confronté ça à plusieurs choses :
- le podcast "Mâle alpha, gros bêta ?" - Les couilles sur la table #75 qui donne quelques éléments sur l'autorité qui me semblent assez justes
- la vidéo "Peut-on s'organiser SANS CHEF ?" de Fouloscopie et plusieurs autres ressources liées, qui m'ont amenées à revoir ma vision de la coopération, de l'autogestion, ainsi que du rôle et de la place des "leaders" dans un groupe
- Plusieurs discussions avec des travailleurs sociaux et de la santé, qui se retrouvent de fait dans une position de domination par rapport aux usagers, tout en cherchant à éviter à tout pris l'infantilisation et le paternalisme.
En connectant tous ces éléments, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il est nécessaire d'accepter, mais donc aussi de repenser, l'utilité des "leaders" dans un groupe.
Pour résumer : un·e "leader" se doit d'être un élément pacificateur permettant un consensus efficace. Un·e facilitateur·ice et un·e porte-parole, rien de plus.
Pour cela, cette personne a besoin d'être en connexion avec le groupe, pour ne jamais remplacer ni s'imposer, en étant à l'écoute des ressentis et opinions de chacun·e. Soit, de l'empathie. Ce qui me semble bien correspondre au mot "bienveillance", que je cherche ainsi à me (nous?) réapproprier de manière (un peu) subversive.
Pour être encore plus précis, j'utiliserais l'expression anglophone "egoless care", en référence à l'étique du care, qui implique bien de "veiller" au bien-être de l'autre, et à une "absence d'égo" exigeant une certaine catharsis des réflexes égotiques.
la première partie de cette brève a été initialement écrite en réaction à un thread Twitter de Usul, avec lequel je suis en profond désaccord :
« Vous avez le droit de militer pour ce que vous voulez mais tout ne se vaut pas. Hiérarchiser, y compris les luttes, c'est aussi ordonner, penser.
Qu'on mette sur le même plan les féminicides, les morts au travail, les violences policières, le racisme et les moqueries sur l'alopécie d'Edouard Philippe ou les insultes "spécistes" ça me parait vraiment délicat.
Les gens qui veulent lutter contre absolument toutes les oppressions indistinctement, n'ont souvent qu'une vague idée de comment celles ci s'articulent pour créer cet ordre social dans lequel, finalement, ceux ci ne sont parfois pas si désavantagés que ça. » ↩︎ ↩︎
Commentaires
Aucun commentaire pour l'instant